Le procès de l’Amérique – Ed. Autrement.
Ta-Nehisi Coastes est monomaniaque. Avec constance, détermination et opiniâtreté, il déroule le long fil qui mène de l’Amérique inégalitaire et raciste d’aujourd’hui aux champs de coton du Sud esclavagiste et prospère d’antan. Il demande réparation.
Pas question de lâcher l’affaire, sous prétexte que les réparations seraient affaire de fous, d’une inextricable complexité…Dans ce troisième opus traduit en français, l’essayiste américain, originaire de Baltimore, poursuit son combat. Il milite encore et toujours pour les réparations. Celle que l’Amérique dans son entièreté doit aux Afro-Américains.
P. 108 : « l’économie américaine s’est construite sur le travail des esclaves. Le Capitole et la Maison Blanche ont été construits par des esclaves. Le président James K.Polk (1842-1845) faisait commerce des esclaves depuis le Bureau ovale."
Une politique du logement raciste
Mais, c’est un autre angle qu’il choisit de retenir cette fois-ci : celui des politiques publiques délibérément ségrégationnistes, discriminatoires et racistes mises en œuvre par les autorités américaines dès les années 30 pour exclure les Noirs de l’accession à la propriété. Ce pays qu’ils avaient contribué à ériger comme la première puissance du monde, grâce à leur travail forcé et volé, ils ne pourraient jamais l’habiter comme les Blancs.
Par des témoignages et une recherche documentaire minutieuse, Ta-Nehisi Coates montre comment par exemple à Chicago le ghetto noir (les ghettos noirs) s’est constitué sur fond de racisme parfaitement assumé, grâce à la discrimination systématique dans l’octroi des crédits immobiliers, la spéculation et un arsenal juridique délibérément ségrégationniste (le FHA, Federal Housing Administration créé par le Congrès américain en 1934 organise l’exclusion des Noirs du crédit). Entre 1955 et 1970, 62 % des Afro-Américains avaient grandi dans les quartiers pauvres, contre 4% pour les Américains blancs.
Ta-Nehisi Coates n’est pas homme à aimer l’eau tiède et avoir peur de relever les défis. Il évoque l’exemple Allemand (les réparations d’un montant de 7 milliards de dollars versées par l’Allemagne post-nazie au gouvernement Israélien ont permis à Israël de développer sa flotte marchande, ses réseaux électrique et ferré), il précise que des calculs savants ont déjà été proposés pour évaluer le coût des réparations américaines…l’Amérique ne peut pas faire autrement.
« Peut-être aucun chiffre ne peut-il rendre compte du pillage organisé qui s’est déroulé sur plusieurs siècles aux Etats-Unis. Peut-être la somme est-elle si énorme qu’elle ne peut être imaginée, et encore moins distribuée. Mais, je crois que débattre publiquement de ces questions importe autant – si ce n’est plus- que les réponses spécifiques qui pourraient être apportées ».
Et la France ?
En France, la question des réparations est posée à travers des actions en justice notamment portées par le MIR ou le CRAN.
La position de l’Etat français depuis quelques années, est de refuser de se placer sur le terrain de la réparation financière, laquelle n’est pas envisagée par la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira qui reconnaît que l’esclavage est un crime contre l’humanité, mais n’envisage pas de mesure répressive.
L’ex Garde des Sceaux, Christiane Taubira signe d’ailleurs la préface de l’ouvrage. Et l’on ne manque pas de noter cette phrase page 24 : « Quelles que soient les configurations, des réparations sont dues ».
De l’Amérique à la France, le débat est décidément ouvert !
Ta-Nehisi Coates est l’auteur de nombreux textes et d’ouvrages dont « Une colère noire » et « Le grand combat » traduits en français.