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Nènèb, le cinéma pour élargir le champ des possibles !

Nènèb… drôle de nom ! Un vrai pseudo que ne traduira pas…

Nènèb, qui ne nous dira pas son vrai nom, celui qu’il utilise dans ses activités quotidiennes. Nènèb, aurait-il une deuxième vie ? En fait, on est loin du compte ! Il n’a pas deux, mais des vies ! Celles dans lesquelles il souhaite nous projeter dans les films qu’il réalise.

« Passagers », son court-métrage revient sur le crash aérien tragique qui a touché toute la Martinique le 16 août 2005.

Interview Nénèb
Ton portrait robot en quelques mots :

Nom, prénom, date de naissance, lieu de naissance, lieu de résidence. Taille.

Nènèb 37 ans,
Né à Schoelcher
Résidant au Diamant.
1,85m et trop de kilos

Tu vis en Martinique. Qu’y fais-tu ?

Aujourd’hui j’essaie de grandir en tant qu’auteur tout en travaillant chez un opérateur de téléphonie mobile. En attendant de pouvoir réellement basculer totalement vers l’audiovisuel et le cinéma.

Où as tu grandi ?

J’ai passé toute mon enfance à Fort de France, Quartier Ravine Vilaine et Redoute.

Tes parents ?

Ma mère et mon père sont deux engagés de la vie scolaire, professionnelle et associative en Martinique, issus respectivement de Trinité et du Lamentin.

Mon père est ainsi à l’origine de la création de la Bourse Alizés, bourse permettant à de jeunes bacheliers martiniquais d’être soutenus financièrement pour leurs grandes études. Ma mère est très impliquée dans les combats pour la défense de l’environnement (AMSES, L’association médicale de sauvegarde de l’environnement et de la santé ) avec notamment un combat acharné contre la chloredécone et l’épandage aérien.

(la chlordécone est un pesticide utilisé aux Antilles pour lutter contre le charançon du bananier entre 1972 à 1993 , alors qu’il avait été interdit aux Etats-Unis dès 1977 et que ces effets sur la santé et l’environnement étaient connus. Retards de développement pour les enfants, risque de cancer de la prostate les risques de la chlordécone ont été largement documentés ces dernières années. NDLR)
Néneb tu réalises « Passagers ». Un court métrage qui revient sur le crash aérien qui a fait 160 morts, dont 152 victimes martiniquaises. Pourquoi ce film ?

Ce film est avant tout un film sur le deuil, sur le chemin de deuil.

Entre 2004 et 2005, ma famille a été beaucoup touchée par des drames soudains ou cruels (dont la mort de mon père). Quand ce crash aérien, qui a bouleversé la vie de nombreuses familles martiniquaises de façon si soudaine, est venu s’ajouter à tous ces décès, j’ai cherché une respiration. Il y eut d’abord un slam (en 2008), puis les premiers mots d’un scenario (en 2014).

Ce film a été coréalisé avec C. Agelan. Il répond aussi à la nécessité selon nous d’écrire, même en court métrage, des histoires ancrées dans nos réalités concrètes, parlant de sujets forts, à un moment où le cinéma antillais cherche sa voie et que les chances d’exister sont encore infimes. Si ces histoires plus courtes peuvent déjà voyager, ce sera très bien. En attendant de plus longues…

Comment as-tu traité ce thème ?

Nous ne souhaitions pas écrire un drame « quelconque». Il s’agissait d’amener de l’originalité en explorant le drame en suivant l’axe du déni. Le déni de ceux qui, ne comprenant pas pourquoi un drame arrive, se recroquevillent derrière des attitudes de façade, des comportements improbables, des rejets marginaux.

Mais nous voulions aussi que ce film soit marqué d’une empreinte antillaise à mi-chemin entre l’Europe et les Etats-Unis : une profonde tonalité cinématographique avec des plans qui rappellent des grands classiques (hommage au western) et une dimension artistique avec la corrélation à Paul Gauguin et au slam.

Nous aimons créer de la perturbation chez le spectateur, en lui proposant des histoires ancrées dans la réalité martiniquaise mais toujours constituée d’une touche originale, qu’elle soit à l’image, à la musique ou au texte. La fiction nous offre ce luxe.

Tu as financé ce projet en crowdfunding ? Pourquoi ? Comment cela s’est- il passé ?

Le financement d’un court métrage professionnel s’appuie usuellement sur des ressources nationales (CNC, Centre Nationale du cinéma et de l’image animée), régionales (collectivités) ou privées (entreprises).

Notre projet n’a pas retenu l’attention du CNC pour l’aide à l’outre-mer et le changement de statut des collectivités a mis en stand-by de nombreuses demandes de financement, malgré l’intérêt réel de la Collectivité Territoriale de Martinique pour ce sujet. Le court métrage n’étant pas un produit rentable, la plupart des partenaires privés ne voient pas l’intérêt d’investir. Nous nous sommes donc retrouvés « sans le sou » mais ne souhaitions pas attendre 2 ans pour voir éventuellement le vent tourner. Il ne nous restait qu’une option : le crowdfunding.

Nous sommes donc passés par une plateforme en ligne et avons mobilisé tous nos proches (familles, amis, associations, collègues) mais aussi quelques personnes des réseaux indirects en passant notamment par une campagne sur facebook. Nous avons la chance d’avoir plus d’une centaine de coproducteurs sur ce projet, après 2 mois de campagne. Nous leur devons la production de ce film et nous les en remercions.

Tu agis en Martinique. Quel public veux-tu toucher ?

J’ai choisi de rentrer en Martinique pour y vivre et j’ai la conviction qu’on n’est loin d’avoir raconté tout ce notre île pourrait raconter au monde. J’aimerais réussir à toucher un public vaste : local, national et international. Il est indispensable qu’une partie des martiniquais s’y intéressent car il s’agit d’éléments concrets de nos quotidiens mais j’utilise la flexibilité de la fiction pour en faire des histoires qui interpellent un public plus large, qu’il soit cinéphile, amateur de musique, ou de mots.

Les réalisateurs antillais, martiniquais ont-ils un rôle spécifique à jouer ? Une mission particulière ?

Les auteurs et réalisateurs antillais, martiniquais ont un rôle à jouer pour élargir le champ des possibles et des visibles auprès du public mondial. Que nous choisissions d’être un pan « noir » du cinéma français (à l’image des films de Lucien Jean-Baptiste), un pan antillais du cinéma américain (à l’image des films de Khris Burton ou d’un Jean Claude Barny), ou un pan français du cinéma caribéen (à l’image des films de Camille Mauduech ou d’Euzhan Palcy), nous avons tous la volonté de montrer une autre vision de ces Antilles que la France ne connaît que très peu (et le monde encore moins). La réussite des cinémas indien, nigérian, iranien, marocain nous permet de croire que nous pouvons aussi exister au monde avec nos histoires, si particulières.

Tu as déjà réalisé des films, notamment « Hat Trick », « Chapeau bas quoi ! » qui traitait de la question de l’empoisonnement au chlordécone à travers un « policier humoristique ». A quoi sert le cinéma pour toi ?

Quel que soit le ton qu’on utilise, le cinéma est une chance pour traiter tous les sujets, qu’ils soient délicats et politiquement incorrects, ou simples et basiques en gardant cette volonté d’interpeller. Mais, parce que le cinéma peut voyager plus loin que nos simples frontières locales, il nous donne une vraie chance que d’autres personnes se saisissent de nos récits, s’y intéressent, s’y accrochent et peut-être même que ces histoires les influencent pour être attentifs à ce qui peut se passer chez eux.

Le cinéma permet pour moi de partager par l’image, des problématiques qui, quand elles ne sont présentées que par le prisme de la presse locale (écrite ou télévisée), intéressent beaucoup moins ou n’attirent l’attention que d’une population limitée.

As-tu un but dans la vie ? Lequel ? Pourquoi ?

Il y a quelques années, à un tournant de ma vie, j’ai choisi simplement d’être heureux. En sachant savourer les moments les plus simples et relativiser les moments les plus douloureux. Je crois que j’y arrive. Le reste n’est que du bonus.

Est-ce que le voyage a une place dans ta vie ? Laquelle, pourquoi ?

J’ai eu la chance de beaucoup voyager dans ma vie. Grâce à mes parents d’abord, puis en faisant certains choix pendant mes études et ma vie professionnelle en France. Je ne me sens jamais viscéralement attaché à l’endroit où je réside. Au contraire, j’aime pouvoir m’en détacher pour observer et déguster l’ailleurs. Pendant un laps de temps.

Je continue à voyager dès que je le peux en famille ou dans le cadre du cinéma, même si c’est plus compliqué en partant de Martinique.

Le voyage est pour moi un excellent moyen de se rappeler qu’on n’est pas les plus à plaindre, mais aussi de trouver de nouvelles idées, de se donner de nouvelles façons d’améliorer notre façon de vivre au quotidien, en se servant de l’expérience des autres.

Si je te dis Diasporas ?

Je pense Unité. L’idée de se dire que tous ceux qui essaient de valoriser notre culture, méritent d’avoir une chance de s’exprimer. Quel que soit le support. L’important n’est pas de tout apprécier de ce que nous propose notre communauté, mais d’accepter que d’autres dans notre entourage puissent y être sensibles. Et que pour cette raison, il est toujours utile de partager l’information.

Si nous ne sommes pas unis, si nos référents n’existent pas, si nos exemples n’existent pas, si nos histoires n’existent pas, il n’y a aucune réflexion possible, aucun progrès envisageable dans notre regard sur nous-mêmes, ni dans celui des autres.

La chose la plus importante pour toi ?

La santé.

Tes projets 2017 ? Et après ?

2017-2018 sera très riche, je l’espère. De la vie en festival de « Passagers », que nous espérons longue et belle, à la réalisation d’une série TV humoristique courte (« Skript Doktè ») en passant par le court métrage « Goyave », drame dans le contexte de la grève de février 2009 en Martinique et peut-être un documentaire. Nous espérons en 2019-2020 réaliser notre premier long métrage, une comédie dramatique mettant en scène une de nos grandes actrices antillaises, dans un registre jamais vu jusque-là.

Le mot de la fin ?

To be continued…

Passagers

Avec Guillaume Ruffin-Bayardin, Gloriah Bonheur, Jocelyne Béroard
Scénario Réalisateur • Bépé NENEB
Producteur • Christophe Agelan
Assistant Réalisateur • Joris Arnolin
Co-producteur • Patrice Abaul
Chef opérateur • Xavier Thesnon
Costumes • Krystel Markos
Cadre • Vianney Sotes
Son • Gianni Tayalay

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