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Liberté, Egalité, Fraternité…Communautés !

 

Les communautés sont-elles les ennemies de la France ? La France est-elle menacée par les communautarismes ? La France est-elle vouée à la mort si elle acceptait son multiculturalisme ? Qu’est-ce qu’être Français ? La France est-elle un pays de race blanche ? Peut-on être musulman et Français ? L’immigration menace t-elle l’unité de la France en tant que pays, en tant que peuple, en tant que communauté nationale ?

Jamais la France n’avait eu à subir pareils assauts en période de paix ! Depuis l’attaque de Charly Hebdo le 7 janvier 2015, les attentats perpétrés par des terroristes se revendiquant de Daesh ont causé la mort de plus de deux cents personnes. L’irruption de l’islamisme radical et des attentats perpétrés par des affiliés de l’Etat islamique, de nationalité française sur le sol français n’ont fait que multiplier les questions autour de la notion même d’identité française. A quelques semaines d’une présidentielle à l’issue plus que jamais incertaine, une partie de la classe politique entend toujours structurer le débat politique autour de cette question.

Ce débat se polarise sur des arguments à finalité électorale dans un silence presque assourdissant des intellectuels sur une question beaucoup plus complexe que ne veulent bien le dire les pourfendeurs de la diversité à la française. Les prises de position parfois caricaturales renvoient à des simplifications où l’histoire récente et lointaine est oubliée ou falsifiée, l’immigration stigmatisée et réduite à une dilution de l’identité, voire à une menace fatale et les notions les plus essentielles du pacte républicain occultées ou bafouées.

Le mythe de la pureté de l’identité française confinant à l’obsession tautologique semble en contradiction avec les valeurs reconnues comme fondamentalement identitaires, héritées de la Révolution française et parfois même inscrites avant 1789 dans le corpus des valeurs nationales.

Identité, ce mot pluriel

D’abord, il y a le mot : identité. Le dictionnaire Larousse apporte cette définition. Du latin Idem, le même :

  • Rapport que présentent entre eux deux ou plusieurs êtres ou choses qui ont une similitude parfaite : Identité de goûts entre personnes.
  • Caractère de deux êtres ou choses qui ne sont que deux aspects divers d’une réalité unique, qui ne constituent qu’un seul et même être : Reconnaître l’identité de deux astres.
  • Caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité : Personne qui cherche son identité. Identité nationale.
On voit bien la difficulté posée par la définition elle-même. Tantôt le même, tantôt aspect divers d’une réalité unique, on comprend bien que la similitude parfaite ne peut s’appliquer à deux êtres. Même les jumeaux sont différents. L’identité met donc forcément en rapport des unités, des parties, des êtres divers dans un rapport à une même réalité.

Chercher le caractère permanent d’un groupe, ce qui fait sa singularité, c’est rechercher les traits communs au sein de ce groupe. Dans le cas d’un Etat-Nation, ces dénominateurs communs réfèrent à ce qui fonde ce peuple en tant que nation, la version « politique » du peuple constitué en état unifié. Le liant, le ciment de ce peuple – nation, ce sont ses valeurs.

En France, le bloc constitutionnel est le référent de ces valeurs, incluant le préambule de la Constitution de 1946, la déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen et depuis 2005, la charte de l’environnement. Dans ce bloc de valeurs qui unissent le peuple français, ce sont les valeurs de la République qui sont les plus importantes. Liberté, égalité, fraternité.

Une quête sans fin pour une histoire complexe

Pour autant, ces idéaux supra individuels, ne définissent pas précisément ce que sont les citoyens qui composent notre communauté unie, mais diverse. Certains sont du sud, parlent avec l’accent marseillais, certains ont un grand-père, tirailleur sénégalais qui s’est battu dans les tranchées de Verdun, d’autres ont toujours vécu à Paris, certains ont fait le grand voyage en 1963 de la Réunion à la Creuse, ce sont les ex- mineurs ou pupilles qui réclament aujourd’hui que l’Etat reconnaissent un crime contre l’enfance, d’autres encore sont nés d’une histoire d’amour entre un métropolitain et une mère algérienne, etc.

La langue française, la pratique de cette langue et probablement un certain rapport à la littérature française, les lettres (les philosophes, les grands auteurs, les classiques, de Ronsard à Baudelaire, Zola, Victor Hugo, Verlaine, la Fontaine, Rabelais…) sont aussi des marqueurs de cette identité.

Jean-Marie Rouart considère que « pour les Français, dans leur inconscient, cette langue est non seulement le signe de l’appartenance à la communauté, mais celui d’une union mystique. Parler, écrire le français, c’est communier avec l’âme de la France. »

Une certaine droite ajoute à ce corpus de l’identité française d’autres références et attributs présentés comme historiques : la religion et les racines chrétiennes, alors même que la laïcité constitue un des piliers des valeurs dites « françaises ». (L’identité française aurait donc aussi à voir avec une certaine capacité à vivre ses contradictions !). Pour être français, il faudrait reconnaître des ancêtres gaulois ! Certains tiennent pour péché absolu l’aspiration à certains groupes composant l’ensemble national à faire valoir les valeurs et traditions, traits de personnalité collective de leur communauté sous prétexte que cela nuirait à la France, à l’identité française. Ils dénoncent la dictature des communautés.

Ce terme est désormais considéré comme un gros mot. Les communautés seraient les ennemis suprêmes de la nation française. Mais cette conception frileuse – au-delà du fait que la notion même de nation soit assez imprécise – peureuse et conservatrice fait fi de l’histoire et notamment de l’histoire récente.

La France, à l’image de toutes les grandes nations européennes jouit d’un passé de puissance coloniale expansive. Elle a colonisé, elle a pratiqué l’esclavage pour asseoir une puissance et une domination incontestées au XIXème siècle. Avancée sur le plan technologique, elle a pu coloniser des terres nouvelles, et des pays aux traditions et civilisations immémoriales. Maghreb, Afrique Noire, Antilles, Océan Indien… Si elle n’est pas la première puissance coloniale, son empire lui confère une deuxième position (après l’Angleterre) qui préfigure ce que seront ses relations ultérieures avec ses ex territoires colonisés.

Elle a colonisé l’Algérie pendant cent trente-deux ans. Cette colonisation n’a jamais été « tranquille » (peu de colonisations le sont) et s’est soldée par une guerre d’indépendance qui a duré huit années. Les vagues migratoires algériennes seront successives : 1905 avec l’arrivée de la main d’œuvre kabyle dans le sud de la France, venue travailler à l’usine (les raffineries, le port) ; 1913 avec la suppression du permis de voyage.

Le 5 octobre 1958, le Général de Gaulle s’exprimant après le référendum évoquait la relation particulière entre la France et l’Algérie :

« Trois millions et demi d’hommes et de femmes d’Algérie, sans distinction de communauté et dans l’égalité totale, sont venus des villages de toutes les régions et des quartiers de toutes les villes apporter à la France et à moi-même le bulletin de leur confiance. Ils l’ont fait tout simplement sans que nul ne les y contraigne et en dépit des menaces que des fanatiques font peser sur eux, sur leurs familles et sur leurs biens. Il y a là un fait aussi clair que l’éclatante lumière du ciel. Et ce fait est capital, pour cette raison qu’il engage l’une envers l’autre et pour toujours l’Algérie et la France. »

Pendant la Première Guerre Mondiale déjà, les Algériens comme les autres membres de l’Empire colonial français seront appelés à défendre la France. Ces colonies paieront l’impôt du sang à la mère patrie d’abord en 14-18 puis en 39-45 à l’image du soldat Alpha Mamoudou Diallo, guinéen qui fut membre des tirailleurs sénégalais pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le soldat Diallo était le grand-père du chanteur Black M, auquel le maire de Verdun interdit de chanter à l’occasion d’une commémoration de la bataille de Verdun.

Les tirailleurs Sénégalais (pas seulement sénégalais) furent sur tous les fronts jusqu’en 1960.

Plutôt que de construire une identité forte de ces particularités, les tenants du déni de l’identité protéiforme française rejettent hors des frontières de la communauté nationale tous ceux qui ne répondraient pas aux normes. Mais que sont ces normes ? Qui les édicte ? Qui juge de leur respect en démocratie ?
Intégrer ou désintégrer ?

A moins de faire comme certains et de décréter que la France est la fille aînée de l’Eglise et reconnaître exclusivement ses valeurs chrétiennes en niant que d’autres religions auraient droit de cité, il serait salutaire d’admette que le principe d’égalité nous ordonne de respecter toutes les religions : le préambule de la Constitution a de la valeur ou n’en a pas. Le musulman, le bouddhiste, le juif, le chrétien, l’agnostique, l’athée et tous les autres ont droit à l’indifférence de la République au nom des valeurs qui nous sont chères : l’égalité, la liberté et la laïcité ! Cette fameuse laïcité, qui semble à géométrie variable.

Raphaël Glucksmann rappelle fort justement comment dès 1560, le chancelier Michel de l’Hospital proposa une nouvelle vision des relations entre la monarchie et les religions [1]. Enfin donc en 1905 une loi établit le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Mais de quelle religion parle-t-on ? Son passé de « première fille de l’Eglise », colle à la peau de Marianne et le voile (sans parler du burkini sur une plage) lui pose un problème.

Pourtant, la laïcité nous oblige à accepter dans l’espace public des signes extérieurs de religion. Cela ne doit pas nous poser de problème, puisque le principe de laïcité, qui constitue un des traits de notre caractère collectif est posé comme premier.

La France ne peut pas faire fi de son passé : celui d’une puissance colonisatrice qui a pratiqué l’esclavage et dominé des nations et des pays à partir du XVI ème siècle. Ce passé porte encore les fruits au cœur même de la France, de ses villes et de ses campagnes et sur tous les océans du monde avec les territoires d’outre-mer. Ce passé se porte sur tous ces visages différents qui témoignent de la diversité consubstantielle de la France.

Bien avant 1848 et le décret du 27 avril qui abolit l’esclavage, le 3 juillet 1315, Louis X le Hutin abolissait l’esclavage sur le sol de France, au motif que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Le sol de France affranchissait l’esclave qui le touchait. Ce français, désormais non esclave n’en n’avait pas moins des origines autres que françaises.

Certains prônent l’intégration, une intégration qui serait en réalité synonyme de désintégration. Cette intégration /désintégration est la négation de l’histoire.

L’intégration pour ces personnes d’origines diverses (africaine, caribéenne, maghrébine, asiatique…) aboutirait à la renonciation à ce qui vient de leurs origines. Et jusqu’où aller ? Ne pas parler sa langue natale, la langue de ses parents quand on la connaît ? Ne pas manger les plats traditionnels de sa région d’origine ? Ne pas vouer de culte au dieu ou aux dieux de ses parents ? Au nom de quoi ?

Le défi est bien entendu que toutes ces personnes aux origines diverses et qui constituent le peuple français, la communauté française se sentent reconnues comme membre à part entière de cet ensemble. L’appartenance à une communauté culturelle particulière n’est le plus souvent pas vécue comme un acte de défiance à l’égard du reste de la communauté nationale. Pourquoi le serait-ce ? Les actes extrêmes de certains, de ces radicalisés en déshérence sont des actes de marginaux qui se recrutent via internet en France, en Belgique, en Allemagne, voire aux Etats-Unis. Ces attentats ébranlent notre foi en notre capacité à faire peuple, à faire Nous.

Parce que ce Nous est vécu difficilement, alors que la France aurait tout à gagner à s’appuyer sur ses communautés.

L’aspiration à entrer dans la République ne contredit pas l’affirmation de valeurs et de traits de personnalité collective que la République doit reconnaître comme siens : les langues régionales par exemple en sont de parfaits exemples. Elles font partie du patrimoine de la France selon l’article 75-1 de la constitution, introduit après la révision de la Constitution en 2008 et un long combat pour une reconnaissance de ce droit à la particularité des communautés qui pratiquent des langues héritées de l’histoire.

La France est riche de 75 langues, dont 53 d’outre-mer. A côté du basque, de l’occitan, du breton, on trouve le shimaoré, les langues amérindiennes, vingt-huit langues canaques, le créole… doit- elle toutes les tuer, sous prétexte que le français est la langue de France et au nom du principe jacobin défensif que la langue française est la langue de la nation ? Parler ces langues, est-ce mettre en danger la langue française ? Dit-on que l’apprentissage et la pratique de l’anglais mettent en danger le français ? Les enfants qui parlent français, anglais, et créole ne sont-ils pas plus armés, mieux outillés que ceux qui ne parleraient que le français ?

Cet attachement à la diversité est encore manifeste dans l’insistance que la France a mis à militer pour la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle adoptée en octobre 2005 et qui fait suite à la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle qui constate notamment « que la culture se trouve au cœur des débats contemporains sur l’identité, la cohésion sociale et le développement d’une économie fondée sur le savoir ». Elle batailla pendant trois ans pour faire aboutir ce texte qui va bien au-delà de la portée symbolique !

La diversité est un idéal, une chance et un atout. Mais la diversité n’est pas qu’un concept : c’est une réalité qu’il faut nommer. Les locuteurs créolophones par exemple forment un groupe de personnes pratiquant une langue, et probablement attachés à une culture créole. Ils constituent une communauté. Communauté : n’est pas un gros mot, et n’est pas réductible à communautarisme. C’est précisément l’absence (la peur) de reconnaissance des communautés qui composent la communauté nationale, qui crée et génère le communautarisme, une sorte de rigidité des communautés, de repli sur soi non pas du fait seul des membres de cette communauté, mais de la part des autres.

La diversité des communautés, qui se revendiquant comme telles, ne disent pas pour autant qu’elles ne sont pas françaises se heurte à la peur qui vient comme le dit si bien Patrick Weil « d’abord de ce que l’on définit comme appartenant à la « diversité », ce que l’on devrait d’abord percevoir comme une partie du bien commun ».

Le malentendu vient de là.

Imaginons dans une famille un garçon qui serait rejeté par ses parents parce qu’il serait homosexuel. Sa différence d’avec les autres garçons, ses orientations sexuelles ne justifieraient pas qu’il soit traité différemment par ses parents. Il fait partie de la famille qu’il aime. Ce n’est pas lui qui a un problème, mais bien ses parents qui ont peur de voir en lui un enfant comme un autre. Notre pays a les moyens de répondre à tous ses citoyens s’il veut bien les considérer comme égaux, en vertu des principes qu’il a lui-même érigés comme sacrés et premiers. La liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité.

Les communautés qui composent la France garantissent la richesse de ses réponses à tous les défis qui nous sont posés aujourd’hui et notamment ceux de la mondialisation, en même temps qu’elles en sont les résultantes incontournables.

Notre pays doit intégrer ces particularismes comme autant de morceaux, de parties de ce qu’est la grande et belle identité française.

Chaque citoyen a des devoirs envers son pays. Cela suppose que la République fasse ce qu’il faut pour que chacun se sente accepté et puisse espérer avoir les mêmes chances qu’un autre parce que chaque citoyen est égal à un autre.

Une image figée

Les représentations doivent évoluer. Cela passe bien entendu par l’école qui permet à chaque enfant de s’approprier l’histoire de ce pays, en passant d’abord par l’apprentissage de la langue française, notre vecteur de communication commun. L’enquête Cèdre, « cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon » menée en 2015 auprès de 9 000 jeunes de 361 collèges et introduite il y a une douzaine d’années dresse un bilan encourageant : 60 % des enfants ont une maîtrise qui devraient leur permettre de poursuivre une formation. 15% de ces jeunes n’ont « aucune maîtrise, ou une maîtrise réduite de ces compétences ».
Ce chiffre cache tout de même des différences socio-économiques.

L’école doit également être le lieu de connaissance et de partage d’une histoire complexe qui n’occulte rien de ce qui a contribué à la diversité de ce pays, y compris en ses pages les plus sombres.

L’évolution vers une vision commune élargie passe également par les medias de masse qui doivent refléter la diversité de notre communauté dans les émissions, dans les publicités, dans les fictions. Des efforts ont été réalisés depuis la fin des années 90 et le coup d’éclat de Luc Saint Eloy et Calixthe Beyala sur la scène des Césars en 99, ou le rapport sur la diversité commandé par le président du CSA de l’époque, Hervé Bourges. Entre temps, des émeutes ont embrasé les banlieues en 2005, permettant une certaines prise de conscience : de nouveaux visages Noirs ont fait leur apparition sur le petit écran omniprésent : Harry Roselmack a fait le 20h de TF1 et présente toujours une émission à une heure de grande écoute, Audrey Pulvar est passée de France 3 à France 2 puis à I Télé, mais il reste encore fort à faire.

La synthèse conclusive de la vague 2015 du baromètre de la diversité à la télévision, qui est d’ailleurs publiée sur le site du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, mérite d’être ici intégralement reproduite : 

« Les résultats de la vague 2015 du baromètre de la diversité ne progressent pas sur le critère de l’origine par rapport à ceux de 2014 avec 14% de personnes perçues comme « non-blanches » présentes à l’antenne. L’étude montre, si l’on croise l’origine avec les données relatives à la catégorie socio-professionnelle, que le taux de personnes perçues comme non-blanches est à 17% pour les CSP- alors qu’il est à 11% pour les CSP+. Quand on évoque les activités marginales ou illégales, le taux de personnes perçues comme non-blanches est de 37%. Ainsi, plus on représente une catégorie sociale élevée moins la part des personnes perçues comme non-blanches est importante. En combinant le critère de l’âge avec l’origine perçue, on peut notamment remarquer que les personnes perçues comme « non-blanches » sont nettement plus représentées chez les moins de 20 ans (18%) qu’au sein de la tranche d’âge « 65 ans et plus » (4%). L’étude du baromètre montre que les personnes perçues comme « non-blanches » sont plus représentées par des hommes (16%) que par des femmes (13%). En termes de rôles, si le taux de personnes perçues comme « non-blanches » est de 21% pour les figurants, il n’est que de 9% pour les héros. De la même manière, s’agissant des attitudes, celles qui sont négatives sont incarnées à 29% par des personnes perçues comme « non-blanches » alors que les attitudes positives ne le sont qu’à 12% pour les personnes perçues comme « non-blanches ». [2]

En 2005, après les émeutes de banlieue, un nouveau mot a fait florès pour cacher le peu d’initiatives pour une meilleure prise en compte de ces communautés non blanches, celui de « diversité ». Un mot fourre-tout qui amalgame tout et n’importe quoi. La « diversité » est encore une globalité, qui ne renseigne pas sur… la diversité des composantes de cet ensemble hétéroclite ! Est ce qu’un Sénégalais, un Martiniquais, ou un Français d’origine marocaine a une tête de diversité ? Cela ne veut rien dire.

Nommer les choses c’est vouloir les comprendre et ne pas avoir peur de la différence. Et il ne sert à rien de se cacher derrière des mots, des expressions creuses qui ne disent pas grand chose de la complexité de notre réalité : les Noirs, les Arabes, les Chinois, ces membres des communautés non blanches sont sous représentés, ou mal représentés, ou stéréotypés. Ce mot est un cache misère, servant d’alibi à la non-action. Année après année, le constat revient terrible, marquant l’incapacité des médias – sans qui aucun changement de mentalités ne peut avoir lieu – à prendre en compte le pays réel dans toute sa richesse, sa complexité, sa diversité, ses différences.

En 2015 un collectif s’est créé à l’initiative de comédiens et autres artistes français : « Décoloniser les arts », partant du constat de la flagrante sous représentation des minorités non seulement sur scène, mais également aux postes de responsabilité de la culture en France. Pas un seul directeur de scène nationale noir ou d’origine maghrébine dans l’hexagone. Il faut aller en Guadeloupe et en Martinique pour trouver à la tête des établissements labellisés un Guadeloupéen et un Africain. Le constat de 2016 ressemble étonnamment à celui dressé en 1999.

De leur côté, les quelque 400 000 personnes d’origine chinoise qui vivent en France  sont de moins en moins enclines à laisser passer les agressions dont elles sont victimes dans l’indifférence. Le meurtre le 7 août 2016 d’un père de famille à Aubervilliers a provoqué la colère et l’indignation de toute une communauté qui est descendue dans la rue pour dire stop à la violence dont sont victimes ses membres.

Tout citoyen a droit au respect, même s’il a les yeux bridés, qu’il porte une kippa sur la tête ou un voile autour du visage !

Au concours Lépine de l’identité, il faut bien admettre que l’identité française « idéalement » fantasmée est celle d’un homme blanc, chrétien, plus ou moins attaché aux valeurs républicaines d’égalité. Ne pas connaître et nommer précisément la diversité française encourage ces raccourcis qui se nourrissent d’ignorance historique.

Cette approche simpliste a vocation à capter un électorat habitué depuis plus de trente ans à entendre la petite musique de l’intolérance et de la préférence nationale, sidéré par les attentats et à qui l’on désigne un coupable indifférencié (l’immigré), mais différent (non blanc). On lui impose des ancêtres gaulois le lundi, pour lui annoncer le mardi que Césaire est son grand-père !

Le débat sur l’identité française tourne en rond depuis quelques années, piégé par la frénésie électoraliste, le rythme des consultations et la cécité des leaders qui gouvernent les yeux rivés sur le prochain sondage.

Pourtant, dans les quartiers, dans les cités, la France vit sa dimension plurielle, ses solidarités et ses brassages, ses conversations et ses échanges, ses mélanges et ses métissages, ses communautés respirent le même air et aspirent à la même citoyenneté. Ces communautés sont une force pour la France, l’ouvrant sur le reste du monde, à condition qu’elle cesse de regarder dans le rétroviseur en fantasmant un passé révolu.

L’identité républicaine des communautés

Article 1 de la Constitution de 1958 : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Le débat sur l’identité et les communautés est inextricablement lié à la République et ses valeurs. Nos principes fondamentaux ne s’opposent pas, au contraire, à l’existence de communautés dans la grande communauté nationale à partir du moment où les valeurs essentielles qui constituent le socle de notre citoyenneté et de notre République sont partagées. En ce sens, l’école et l’éducation ont un rôle essentiel à jouer pour que ce sentiment d’appartenance soit renforcé, que l’on ait des parents parlant créole, arabe ou portugais ou chinois, que l’on soit noir, blanc ou marron, que l’on soit né en France hexagonale, en Corse, à La Réunion, en Guadeloupe ou au Brésil, en Syrie ou en Erythrée.

Ce défi-là, les politiques ont bien été en peine de le relever, laissant la France plonger dans le pessimisme et la torpeur, à la merci des démagogues lui promettant un avenir plus sombre que la nuit, fait de grand remplacement, de déclin irréversible et de déclassement où des aspirants dictateurs sont pressés d'imposer aux historiens et aux écoliers un récit national conçu sur mesure qui ferait la part belle aux héros de souche et minimiserait les heures moins glorieuses qui expliquent pourtant précisément la complexité de l’identité française.

Le tableau français en ce début du XXIème siècle est triste. Pourtant la France est riche de son histoire et de son peuple, qui est composé de communautés différentes qui ont toutes en commun d’appartenir à ce grand pays, qui rayonne encore dans le monde. Elle pourrait être plus forte et plus conquérante, si elle se faisait confiance, si elle regardait tous ses citoyens comme partie prenante de ce tout, comme une chance pour elle et pour son avenir.

La communauté du respect

Ne pas regarder sa diversité comme un atout la détourne des conquêtes qui restent à portée de main. Honnir ses « communautés », parce qu’elles représenteraient un danger pour l’unicité de l’identité Française c’est se condamner à vivre à terme à ce que veulent provoquer les extrémistes fanatiques de Daesh : la guerre, l’affrontement civil. Les valeurs d’égalité et de fraternité, tout comme celle de liberté traversent la question de l’identité française attachée indissociablement à la question de la République, ombrelle tutélaire de nos échanges même violents.

La République reconnaît des citoyens égaux, même différents, la constitution énonce les droits : celui d’être libre, celui d’être considéré comme l’égal des autres, celui d’être traité en frère ; elle énonce des devoirs : celui de traiter les autres comme libres, comme des égaux, comme des frères. Elle énonce des obligations : appartenir à la République Française c’est parler le français, tout en reconnaissant que les langues régionales font partie du patrimoine. Les citoyens doivent être traités de la même façon quelque soit leur couleur de peau (leur race), leur religion, leur sexe.

La différence est admise au cœur même de la Constitution. Le respect de la différence et la défense de la diversité sont érigés comme des valeurs cardinales de notre vie en société. Mais dans les débats qui nous agitent, et nous divisent, on oublie trop souvent qu’entre les différentes communautés entre elles, ou entre les communautés et la communauté, les échanges sont à somme positive : quand on partage nos différences, on s’enrichit, et on ne se diminue pas.

Les communautés et leurs identités sont comme la connaissance : ce sont des  biens immatériels. La somme des identités communautaires crée une autre identité communautaire. L’identité française est ainsi : elle s’enrichit de la proximité, l’adjonction, le dialogue, le partage des identités communautaires qui la composent.

Certains hommes politiques en parlent comme d’une guerre. Sur le plan sémantique, les attaques terroristes ont permis un amalgame, une confusion qui échappent à la réalité de ce que peuvent être et de ce que sont les relations dans un monde globalisé.

Le monde de la France ne se réduit pas à des affrontements entre musulmans, non musulmans, juifs et autres… le monde de la France est un monde ouvert, où le numérique, le web, l’internet ont profondément transformé nos regards, nos relations, nos dialogues.

Cela paraît une évidence, mais les hommes politiques semblent les seuls à ne pas se rendre sur le vrai terrain de l’humain pour comprendre en quoi leur stigmatisation lapidaire méconnaît la réalité et l’histoire.Aussi vrai que la France n’a pas partagé sa culture avec les peuples qu’elle a colonisés et qu’elle a soumis en esclavage, mais qu’elle a imposé sa culture et des valeurs qui hiérarchisaient les hommes (avant la Révolution), la France n’est pas non plus un pays de race blanche catholique, du fait même de cette histoire impérialiste.

Il n’est donc plus temps de se lamenter sur cette histoire, mais d’en tirer avec lucidité et ambition les conséquences.

Des communautés ouvertes sur le monde… la France à sa place dans le monde

Dans ce débat sur l’identité et les communautés, rares sont les voix d’intellectuels proposant une vision inclusive, réaliste et moderne de ce que nous sommes. Un philosophe pourtant nous invite à penser notre identité en altérité. Edouard Glissant, penseur de la relation, de l’identité non totalitaire, mais ancrée dans le réel et l’altérité. Tout au long de ses recherches philosophiques et littéraires, l’intellectuel martiniquais, s’est interrogé sur les liens entre lieu, territoire, racine et identité. La pensée d’Edouard Glissant est une pensée moderne, une pensée de la connectivité, une pensée de la relation et de l’hétérogénéité.

La pensée du Tout Monde qui commande de remettre en question les hiérarchies et les rapports de forces, les centres et les périphéries, et de rejeter les certitudes, les rigidités, les égoïsmes et les racismes. « Pour un écrivain antillais », dit Glissant, «récupérer une partie du passé de son pays c’est essayer de donner aux siens la possibilité d’arriver à ce rendez-vous avec quelque chose dans les mains à offrir ». « Nous savons que les racistes de tous pays craignent et détestent par-dessus tout les mélanges et les partages. C’est en quoi la mémoire des esclavages nous est avant tout précieuse ».

Les histoires des communautés constitutives de la France ne s’opposent pas à ce que ces mêmes communautés fassent partie de la France et aspirent à y être reconnues. Les frottements et les interrogations, les oppositions ne sont pas antinomiques de cette revendication à être respecté comme membre à part entière de la communauté nationale. Le fantasme de l’unique, la négation du divers, Edgar Morin, non sans humour les décrit en les décriant : « la communauté musulmane ne va pas disparaître sur simple injonction : « Viens, mon frère ! Ta différence m’enrichit, mais ce que tu as de mieux à faire c’est de devenir le plus tôt possible comme moi. .. ».

La relégation de certaines communautés aux marges du centre (Paris) est la cause et la conséquence de cette vision étriquée, frileuse, voire raciste de ce qu’est la France. Impossible de nier que certaines zones du territoire regroupent presque exclusivement des personnes de mêmes communautés. Cette stratification communautaire du territoire épouse une même stratification sociale, qui fait coïncider ce que certains qualifient de ghetto avec des caractéristiques socio-économiques. Demandez à un ouvrier s’il veut habiter le 16ème arrondissement de Paris ? Bien sûr qu’il voudrait ! Mais pas sûr qu’il puisse !

Les défis auxquels nous sommes confrontés pour que chacun se sente aussi précieux que l’autre, sont immenses.

Mais les enjeux sont également immenses. Il en va de la cohésion nationale bien sûr, mais aussi de la place de la France sur la scène internationale. Si la France a peur d’elle-même, comment pourrait-elle assumer au-dehors ce qu’elle refuse de reconnaître et de considérer comme une force au-dedans ? Les communautés françaises ne sont pas seulement bonnes à faire briller la France sur les podiums des Jeux Olympiques, rapportant médailles et honneurs. Ses communautés sont capables de converser avec le monde entier, de comprendre le monde entier, parce que venant du monde entier. Or, cette méfiance et cette défiante inculquent la peur, le renoncement, la méfiance et la défiance.

Il est temps de tourner le dos aux vieilles idéologies qui font de l’unique l’indépassable horizon d’une identité qui est pourtant plurielle, rhizome comme dirait Edouard Glissant. Une identité qui s’abreuve à toutes les sources du monde et qui s’enrichit de cette diversité. Une identité qui projette l’individu dans la relation avec l’autre, sûr de ce qu’il est. Une identité construite par agrégation, non par négation ou rejet, par adjonction, par somme, plutôt que par retranchements ou renoncements. Cela ne signifie pas que tout est permis, mais au moins que les principes que nous érigeons comme les boussoles de notre vie en société, servent réellement à éclairer nos actes et nos relations avec les autres.

Barbara Jean-Elie

 

 

 

[1]http://www.csa.fr/Etudes-et-publications/Les-observatoires/L-observatoire-de-la-diversite/Les-resultats-de-la-vague-2015-du-barometre-de-la-diversite-a-la-television

[2]Raphael Glucksmann : « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes, Allary Éditions, 2016

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