L’article 1 de la loi sur les élections européennes rétablit une circonscription unique. Exit les outre-mer.
A la suite de l’Assemblée Nationale, et en procédure accélérée, le sénat a commencé l’examen de projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen.
L’article 1 conforme a été adopté par les sénateurs. Il rétablit une circonscription unique pour les 79 députés européens français (sur les 705 que comptera le Parlement européen). Exit donc la circonscription électorale d’outre-mer qui permettait l’élection de 3 députés.
Article 1er L'article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé : « Art. 4. - La République forme une circonscription unique. »
Lors de la discussion au Sénat, les 3 amendements qui défendaient le maintien d’une représentation spécifique ultramarine ont été débattus par les sénateurs en commission des lois. Ils ont été rejetés.
Il dépendra désormais des états-majors politiques de déterminer quelles personnalités ultramarines ils décident de mettre en position éligible. A moins de considérer que les députés élus auront tous à cœur de défendre les intérêts particuliers des outre-mer.
La logique qui a prévalu à la suppression d’une sous-circonscription ultramarine, finira peut-être un jour par l’emporter pour trancher la question suivante : faut-il ou non un ministère des outre-mer ? Après tout, pourquoi faudrait-il une représentation ministérielle spécifique aux ultramarins à Paris et pas à Bruxelles, « légèrement » plus éloignée des régions ultramarines ?
Les amendements rejetés étaient : L’amendement n° COM-28 présenté par : M. LUREL, Mmes JASMIN et CONCONNE, MM. ANTISTE, LECONTE et MARIE, Mme HARRIBEY, M. TODESCHINI, Mme TOCQUEVILLE, M. DURAN, Mmes CONWAY-MOURET, ARTIGALAS et ROSSIGNOL, MM. COURTEAU et LALANDE, Mmes GHALI, ESPAGNAC et les membres du groupe socialiste et républicain. Les amendements n° COM-32 et COM-34 présentés par M. POADJA, Mme DINDAR, MM. LAUFOAULU et MAGRAS, Mme TETUANUI, M. MARSEILLE et Mme MALET
Voici les interventions des sénateurs relatives à la création d’une circonscription outre-mer lors de la séance en commission des lois du 4 avril 2018.
Alain Richard rapporteur –Une partie de nos collègues préféreraient conserver une base régionale pour l’élection européenne, dans le cadre des treize nouvelles grandes régions créées par la loi du 16 janvier 2015. Même pour ceux qui sont favorables aux listes nationales, se pose nécessairement le problème de la représentativité géographique des candidats inscrits sur chaque liste, notamment vis-à-vis des outre-mer.J’ai testé, par simulation, divers modes de scrutin s’inscrivant dans cette logique régionale. Souvenons-nous qu’il s’agit d’élire, en tout, soixante-quatorze députés européens. Dès lors, si l’on tente d’assurer une sous-répartition régionale à l’intérieur de listes nationales de candidats, on a tous les risques d’aboutir au résultat suivant : que les régions très peuplées soient représentées au sein de toutes les listes et que les régions peu peuplées ne le soient dans aucune.Aussi, le projet de loi implique de renvoyer aux responsables politiques qui forment les listes de candidats la charge d’assurer une représentation équilibrée de celles-ci, afin que l’ensemble des citoyens puissent être représentés.
Mme Josiane Costes. – Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen (RDSE) a toujours été favorable à une circonscription unique pour les élections européennes. Je souscris aux propos de Jean-Pierre Sueur sur l’éloignement des élus : les électeurs du Cantal sont aujourd’hui dans la même circonscription qu’Orléans ! Au moins la circonscription nationale a-t-elle le mérite de la clarté. Profitons-en pour éclairer les citoyens sur le rôle du Parlement européen.Quant à la représentation des territoires d’outre-mer, nous sommes tiraillés entre le soutien à ces territoires et les problèmes de constitutionnalité que soulèverait la création d’une circonscription propre à l’outre-mer.
Philippe Bonnecarrère. – Le groupe Union Centriste est favorable à la création d’une circonscription nationale, sous réserve des problématiques soulevées par la représentation des outre-mer
Thani Mohamed Soilihi. – L’insuffisance de représentation des collectivités d’outre-mer à l’échelle européenne est manifeste. Lorsque Mayotte a rejoint les régions ultrapériphériques (RUP) en 2014, j’attendais plus de soutien et d’accompagnement de la part des députés européens
– dont trois sont d’origine ultramarine. Les problèmes d’immigration qui se posent dans mon département relevant des compétences de l’Union européenne, nos représentants européens s’en préoccuperaient à bon droit !
Quant aux normes appliquées dans les RUP, je note que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui permet d’instaurer des mesures dérogatoires au droit commun, est difficile à déployer et là encore, la présence de représentants ultramarins au Parlement européen n’y change pas grand-chose… Les territoires ultra-marins sont si divers qu’il faudrait un représentant au Parlement européen pour chacun d’entre eux. C’est une utopie, je le sais, mais c’est aussi un idéal. Le risque d’inconstitutionnalité est réel concernant la création d’une circonscription ultramarine, mais je préfère insister sur les difficultés quotidiennes et faire confiance aux partis politiques. S’en remettre à eux peut entraîner le pire mais, pourquoi pas, le meilleur également. Je veux aussi faire confiance aux élus nationaux : la délégation sénatoriale aux outre-mer du Sénat a par exemple effectué un travail remarquable sur les normes, le sucre, la banane, la législation européenne…Je fais un rêve : que les élus nationaux se soucient autant des questions ultramarines que des autres dossiers. Mieux vaut faire porter l’effort sur ce point que de créer plusieurs circonscriptions. La République est une et indivisible et comprend les outre-mer, ce projet de loi en est une traduction.
Philippe Bas, président. – Nous examinons en discussion commune les amendements identiques COM-28et COM-32ainsi que l’amendement COM-34, relatifs à la création d’une circonscription hexagonale et d’une circonscription ultramarine.
Alain Richard, rapporteur. – J’approuve le principe du retour à la circonscription unique. Je ne crois pas que l’ensemble des outre-mer devraient être mis à part du reste de la communauté nationale.
Depuis 2007, le système de représentation des outre-mer pour les élections européennes est d’une complexité telle que j’en recommande la lecture aux amateurs de législation électorale : regroupés en trois sections (Atlantique, Océan indien et Pacifique), les candidats d’une même liste sont mis en compétition entre eux pour savoir lequel sera élu. Certes, cela a permis d’obtenir un représentant au Parlement européen par section, mais dans des conditions qui n’ont jamais été examinées par le Conseil constitutionnel et qui pourraient bien être contraires au principe d’égalité devant le suffrage.Les outre-mer ont des statuts très différents : les départements d’outre-mer font partie de l’Union européenne, alors que les autres territoires (les pays et territoires d’outre-mer) sont « associés » à cette dernière. Je comprends la logique de François Grosdidier, qui est favorable aux circonscriptions régionales et à une circonscription pour les outre-mer. Mais nous rencontrons ici le problème de l’organisation d’un scrutin proportionnel pour pourvoir trois sièges…
François Grosdidier. – Nous y arrivons bien aux élections sénatoriales…
Alain Richard, rapporteur. – Si nous l’acceptons pour les outre-mer, d’autres le réclameront, telles les régions frontalières. Nous parlons aujourd’hui de la spécificité corse, au point de l’inscrire dans la Constitution alors que, avec 330 000 habitants, l’île est bien en dessous du quota nécessaire pour obtenir un siège de député européen. On se plaît à critiquer les appareils politiques, mais chacun, jusqu’à présent, a toujours placé en position éligible un candidat issu du territoire ultramarin où il est le plus influent..
Philippe Bonnecarrère. – Nos collègues polynésiens, calédoniens et réunionnais ont déposé des amendements pour créer une circonscription ultramarine. Dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il y a des dispositions spécifiques aux outre-mer. Ces derniers donnent à notre pays sa profondeur stratégique et des zones économiques exclusives conséquentes. C’est une spécificité française : si le Danemark et le Portugal ont des territoires en dehors d’Europe, leur situation est sans commune mesure avec celle de la France. Les outre-mer ont une sensibilité très forte aux fonds européens, et en particulier aux fonds de cohésion. Nous soutenons donc ces amendements, tout en entendant l’argumentation du rapporteur concernant les difficultés constitutionnelles et la non-appartenance des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) à l’Union européenne.
Jean-Yves Leconte. – Dans un monde idéal, on peut comprendre la logique de la circonscription unique pour les élections européennes. Mais la réalité est autre : les régions ultrapériphériques sont dans l’Union européenne mais pas dans l’espace Schengen et les pays et territoires d’outre-mer sont en dehors de l’Union. Ces différences interdisent de balayer les amendements de nos collègues pour des raisons de constitutionnalité. On peut en effet, sans remettre aucunement en question la communauté nationale, traiter différemment des situations différentes, sans faire dépendre la représentation des outre-mer de la bonne volonté des partis politiques, mais en la garantissant par la loi.
Didier Marie. – Je souscris pleinement à ce que vient de dire Jean-Yves Leconte. Notre pays est dans une situation particulière ; il est le seul à être présent dans les trois océans. Les pays et territoires d’outre-mer, associés à l’Union européenne, méritent donc d’être représentés, comme les régions ultrapériphériques.
Thani Mohamed Soilihi. – Ces observations m’effraient ; cela voudrait-il dire que nos collègues hexagonaux ne défendraient pas les intérêts des outre-mer.
Jean Louis Masson. – Le raisonnement qui sous-tend ces amendements est contraire à l’idée de souveraineté nationale. Un député européen défend la France entière ; or jusqu’à nouvel ordre, les outre-mer sont en France ! Dans le cas contraire, je pourrais réclamer un député européen pour l’Alsace-Lorraine, et les Corses faire de même pour leur île. Nous sommes les sénateurs de toute la France, chaque parlementaire est une partie de la souveraineté nationale. Lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale, je me souviens de ce député de Djibouti qui était resté député jusqu’au terme de son mandat, malgré l’indépendance de son pays intervenue entre temps. De même, l’annexion de la Moselle par l’Allemagne n’avait pas fait obstacle à ce qu’un des députés élus dans ce département reste député jusqu’en 1875.
François Grosdidier. – La représentation de la diversité des territoires n’est pas une atteinte à la souveraineté nationale. Chaque sénateur se fait fort de représenter son département, comme les députés, d’ailleurs.
Pierre-Yves Collombat. – Mais au Parlement européen, les représentants français représentent la France !
François Grosdidier. – Il faut vraiment méconnaître les dossiers traités par l’Union européenne pour nier l’intérêt qu’y siègent des députés européens connaissant bien les dossiers ultramarins !
Philippe Bas, président. – Il faut choisir entre deux systèmes cohérents pour les élections européennes : celui qui représente les territoires, y compris les outre-mer, et celui qui représente la Nation dans son ensemble. Les systèmes hybrides poseraient un risque majeur d’inconstitutionnalité.
Jean-Pierre Sueur. – C’est le bon sens !
Philippe Bas, président. – De plus, un Guadeloupéen représentera-t-il mieux les Polynésiens que ne le ferait un Normand ? On peut en douter. L’outre-mer n’est pas un territoire, mais un ensemble de territoires, soumis de surcroît à des régimes d’appartenance à l’Union européenne différents. Une circonscription ultramarine non seulement se heurterait à un obstacle constitutionnel – et la commission des lois se doit de les éviter – mais conduirait à considérer qu’un natif d’une île du Pacifique représenterait mieux Saint-Pierre-et-Miquelon qu’un autre Français. Je suis personnellement favorable à une représentation territorialisée ; mais si nous choisissons l’autre voie, allons jusqu’au bout.
Les trois parlementaires d'outre-mer siégeant au Parlement Européen : Younous Omarjee (la Réunion- France Insoumise), il a été élu meilleur député européen 2018 par le Parliament Magazine - Louis-Joseph Manscour (PS-Martinique)- Maurice Ponga (PPE- Nouvelle- Calédonie)