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Chlordécone… des questions, des avancées, une population peu concernée.

L’avis de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) rendu le 15 décembre 2017, à propos d’une décision de 2013 de la Commission Européenne modifiant les LMR de chlordécone présent dans les produits carnés (limites maximales de résidus, seuil de concentration de résidus de pesticides, d’insecticides… au-delà duquel la commercialisation n’est pas autorisée) fut sans doute la goutte d’eau qui fit déborder le vase de l’indifférence.

Cette décision a provoqué un sursaut médiatique bienheureux attirant l’attention sur le pesticide dont plus personne ne remet en question ses effets dévastateurs sur la santé des Antillais. Cancérogène, perturbateur endocrinien, même après son interdiction en 1993 dans les bananeraies, il continue et continuera pendant encore longtemps de produire ses effets !

Les LMR et leurs effets… la question de Younous Omarjee

Dans ce dossier complexe, difficile d’y retrouver ses petits !

Et même le meilleur député européen Younous Omarjee (le Réunionnais a été distingué par le Parliament Magazine) a jugé utile dans une question écrite du 2 février 2018, d’interroger la Commission Européenne sur la modification des LMR en 2013, en ces termes :

« En décembre 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié un avis relatif à l’exposition des consommateurs des Antilles au chlordécone. (…) La Commission européenne peut-elle donner des informations sur cette modification règlementaire et sur l’état des lieux de la règlementation en vigueur ?

La Commission peut-elle, le cas échéant, confirmer que les LMR dans les denrées carnées ont été multipliées par un facteur de 5 à 10 selon en fonction des denrées considérées et, si tel est le cas, indiquer les raisons d’une telle modification ainsi que les mesures qui pourraient être prises par la Commission européenne ou par les États membres pour rabaisser les LMR aux niveaux antérieurs ? »

Lire aussi : Chlordécone, poison des Antilles

Dans sa réponse du 14 mars, M. Andriukaitis au nom de la Commission, contredit l’ANSES : 

« Le règlement (UE) no 212/2013 a modifié les sous-catégories de produits d’origine animale auxquelles s’appliquent les limites maximales de résidus (LMR), remplaçant la sous-catégorie «viandes» par la sous-catégorie «muscles», qui désigne les viandes sans graisse. Les autres sous-catégories, parmi lesquelles la graisse, sont restées inchangées.

Pour les substances actives liposolubles telles que le chlordécone, le tableau 3 de l’annexe de la directive 2002/63/CE de la Commission prévoit que les contrôles officiels des résidus de pesticides dans les produits d’origine animale doivent être effectués sur des tissus graisseux, étant donné que c’est dans ces tissus que de telles substances actives sont susceptibles de s’accumuler.

Contrairement à ce qu'indiquel'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail auquel l'Honorable Parlementaire se réfère, les LMR de chlordécone dans les tissus graisseux des produits d'origine animale fixées dans le règlement (CE) no 839/2008 n'ont pas été modifiées par le règlement (UE) no 212/2013, et elles n'ont pas été multipliées par un facteur de 5 à 10 pour les denrées carnées.

On le voit, le dossier chlordécone est complexe. Outre son volet sanitaire et réglementaire pour le moins technique, il touche à la consommation, à la communication, aux rapports que nous entretenons avec les agriculteurs, à la confiance que nous plaçons en l’État et en les institutions, et notamment en la justice.

Le volet judiciaire progresse

En surface, rien ne bouge comme la mer avant l’arrivée du cyclone, pourtant la plainte pour déterminer les responsables de ce scandale sanitaire ne fait plus de surplace.

Maître Harry Durimel -interrogé par Kelly Pujar, journaliste des 1èredans une vidéo mise en ligne le 14 février 2018-, revient sur le volet judiciaire de cette affaire, qu’il porte depuis 12 ans !

Voici ses réponses à la journaliste de la Première : « Aujourd’hui, on sait, on connaît l’identité des différents intervenants, qu’ils soient du domaine de l’administration, ministre, administrateur, directeur, et autre agissant en coulisse, on connait aussi le nom des politiques qui ont participé au lobbying afin d’obtenir ces dérogations scélérates ; on connaît les importateurs, les distributeurs du brevet et on sait ceux qui ont usé de stratagèmes pour contourner l’interdiction. Donc nous pensons qu’aujourd’hui, l’enquête est suffisamment nourrie pour qu’on passe à une autre phase, celle de la mise en examen des personnes concernées.

« Pourquoi, ne passe-t-on pas à cette autre phase ? » lui demande alors la journaliste.

« Je pense qu’il est toujours plus difficile d’enquêter contre des délinquants en col blanc.  Lorsqu’il s’agit de vulgaires trafiquants de drogue, ou de voleurs, violeurs, c’est vite fait, mais lorsqu’il s’agit de mettre en examen des gens qui ont un pouvoir de promotion ou d’enquêter contre l’État et ses préposés, ce n’est jamais simple. Donc nous pensons qu’il faut insister encore, mais je ne doute pas que nous parviendrons à la manifestation de la vérité.

On a passé 4, 5 6 ans même, à lutter contre le procureur de la République. Ça peut étonner le public. Celui qui généralement défend la société, celui qui généralement est contre moi lorsque je défends des voyous, des criminels, et bien c’est lui qui prend la défense des empoisonneurs, c’est lui qui a tout fait, le représentant du ministère public, c’est à dire le bras judiciaire du ministère de la justice, le bras armé de l’État en justice, et bien c’est lui qui a contesté notre qualité pour agir, il a contesté la recevabilité de notre plainte.

Nous avons fait appel, nous avons été jusqu’en cassation. Et heureusement que nous avions porté plainte au nom de cinq associations, deux d’entre elles ont été reconnues comme recevables, comme ayant qualité et intérêt pour agir. Il s’agit de l’Union régionale des producteurs Guadeloupéens (les agriculteurs de la confédération paysanne) et l’Union régionale des consommateurs avec Monsieur Consommateur.

Donc, je pense que cette lutte du Ministère public pour entraver notre action avait certainement pour objet d’empêcher qu’on découvre la vérité, car il s’agit de l’État et de ses préposés. Mais comme on est dans un État de droit, nous avons vaincu jusqu’en cassation et la plainte a pu commencer à être instruite sur le fond à partir de 2010, 2012. »
Le public peu concerné

A la question concernant son état d’esprit, l’avocat combattif invite la population à se sentir plus concernée :

«(…)Autant on pourrait reprocher à l’institution judiciaire de ne pas faire preuve de plus de zèle, on peut s’étonner que le peuple antillais, les Guadeloupéens, les Martiniquais continuent à danser, à boire, et à festoyer et à se désintéresser pratiquement de ce problème-là. Et quand j’interroge les gens, ils ont une sorte de confiance aveugle dans la mère Patrie(…) Et si l’équivalent de deux groupes de Carnaval pouvaient défiler à Fort-de-France ou à Pointe-à-Pitre en criant « Justice et Vérité sur le chlordécone » ou encore « LMR » (les fameuses limites maximums de résidus, en vertu desquelles on nous autorise à consommer un petit peu de chlordécone chaque jour) et bien si on arrivait à crier dans les rues « LMR non merci » ou « Chlordécone, tolérance Zéro », je pense que la justice qui elle, est rendue au nom du peuple, entendrait notre cri, comme elle entend le cri de ceux qui disent « non à l’insécurité », « non au trafic, non aux stupéfiants », cette justice qui cherche à nous donner plus de sécurité, si nous demandons plus de sécurité alimentaire, la justice va bouger ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Chlordécone a moins de succès que le Carnaval ! D’ailleurs on peut s’étonner qu’aucune chanson du Carnaval 2018 ne se soit inspirée de ce sujet !

Quoiqu’il en soit, la grande marche pour Zéro Chlordécone du 24 mars 2018 dans les rues du Lamentin en Martinique, à l’appel de vingt organisations associatives ou syndicales, n’a pas rassemblé des milliers de personnes. Quelques centaines, qui ont également participé au forum social organisé à la Mairie au sein d’ateliers Pêche, Agriculture, Santé, Réparations.

Lire aussi : Forum Social Zéro Chlordécone

Les organisations une nouvelle fois réunies le 14 avril à Fort-de-France, cette fois, ont déposé leurs 50 propositions en Préfecture.

Quant à la pétition « Stop à l’empoisonnement des habitants de Martinique et de Guadeloupe » elle continue doucement d’engranger des signatures sur le site change.org. Elle a été lancée par Guillaume Lerebour et Martine Ducteil, deux étudiants en BTS agricole à Rivière Pilote, préoccupés par la situation et la relative indifférence de la population. Le texte censé être adressé au Président de la République a atteint les 31500 signatures au bout de trois mois. Interrogés le 20 février 2018, les deux pétitionnaires se montraient déçus du nombre de signatures recueillies.
Label, vous avez dit label ?

Mais les choses bougent. Le 14 mars, le Parc Naturel de Martinique avait annoncé la création d’un label zéro chlordécone pour juillet. Dans une interview le 16 mars 2018 à Martinique 1ère à l’occasion de l’installation du comité de pilotage plan chlordécone, le préfet Franck Robine avait jugé prématurée cette labellisation Zéro Chlordécone : « Faut-il le traduire en label zéro chlordécone ? Ce serait nier les efforts des agriculteurs, et on voit bien que les contrôles sont positifs, que la production locale est assez largement dépourvue de chlordécone ».

Désormais, le représentant de l’État semble s’être rallié à cette nécessité. Le 12 avril 2018, à l’issue d’une réunion entre les services de l’État et du Parc Naturel de Martinique, il a expliqué que "l’objectif zéro chlordécone est un objectif qu’il faut non seulement poursuivre, mais atteindre". Il a assuré que "l’État soutiendra cette démarche (initiée par le parc naturel de Martinique) et même mieux, l’appuiera pleinement."

Un changement de pied qui rassure, parce que les chercheurs et médecins estiment que l’exposition régulière au chlordécone, même à des quantités infimes est nocive ! Seul le « zéro chlordécone » permettrait de garantir une meilleure santé aux Antillais.

Une cartographie en bonne voie.. mais y’a du boulot !

Les choses avancent on le voit. La carte promise par Agnès Buzyn, la ministre de la santé lors de son audition par les parlementaires le 21 février 2018 a enfin été publiée ! Où l’on voit parcelle par parcelle l’imprégnation du chlordécone !

On s’en félicite, même s’il faut regretter que cette cartographie de la présence du chlordécone ne concerne que 37% des sols de la Martinique !

Rappelons que le 3 mars 2015, vingt-deux organisations et institutions, dont l’État, le conseil régional de l’époque, le conseil général, l’ARS, des associations, le Parc Naturel de Martinique, avaient paraphé la « Charte patrimoniale pour une stratégie territoriale de développement durable de la qualité de vie en Martinique dans le contexte de pollution par la chlordécone ». Un texte de 72 pages, découlant de l’action 36 du plan chlordécone 2011- 2013, dont on retiendra notamment page 67, la fiche Action n°T4 « Valoriser la qualité produite » qui prévoyait déjà de développer la traçabilité des produits et d’en informer les consommateurs… Précisons- sans être complet sur le dossier- que telle était déjà en juin 2005, l’une des nombreuses recommandations du rapport d’information conclusif de la mission sur « l’utilisation du chlordédone, et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne », présidée par le député Philippe Edmond-Mariette et composée en outre de Jacques Le Guen, Louis-Joseph Manscour, François Sauvadet, Jean-Sébastien Vialatte.

L’histoire, un éternel recommencement ? Affaire à suivre…

Barbara Jean-Élie

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