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Kora Bernabé : le cacao, Or Noir de la Martinique

Ce matin, j’ai une mission : aller retrouver Kora Bernabé sur les hauteurs du Carbet pour parler cacao et chocolat. La conseillère territoriale de Martinique est aussi une paysanne. Avec son diplôme d’ingénieure agronome et l’amour des cacaoyers que lui a transmis son grand-père Henry Ozier-Lafontaine, elle s’est lancée dans la restructuration de la filière à la tête de VALCACO.

C’est un chemin bétonné mais tout cabossé qui mène jusqu’au champ de cacaoyers. Il faut avoir de bons yeux pour éviter les nids de poule. Ou un 4×4. L’interview se fait sous les arbres, à l’abri des cabosses, des orangers et des pruniers qui donnent des fruits énormes. Kora Bernabé travaille. Ce jour-là, deux de ses amis lui donnent un coup de main pour récolter les cabosses qu’elle cultive sur le terrain de son grand-père. Elle est gardienne de la passion familiale et présidente de VALCACO, l’association créée en 2015, qu’elle préside pour que l’or noir de Martinique retrouve sa place.

Kora sait la richesse de son île, c’est sans doute ce qui l’anime. Elle a consacré son mémoire de fin d’étude à la restructuration de la filière, et sillonné les campagnes de l’île pour identifier les cacaoyères avec le PARM (Pôle Agroalimentaire Région Martinique). La moisson fut étonnante : la Martinique compte sept des dix variétés de cacao : nanay, criollo, contamana, maranon, purus, amelonado, trinitario. Le cacao martiniquais affiche une signature génétique particulière. Cette excellence a d’ailleurs été récompensée dès 2017 au Salon du Chocolat.

Etrange paradoxe : en dépit de cette qualité, l’île ne produirait que 4 tonnes de cacao par an (estimation réalisée par Kora Bernabé en 2015), alors qu’en 1775, « la Martinique exploitait 1.400.000 pieds de cacaoyers et pouvait suffire à la consommation de la France en réunissant ses produits à ceux de l’île de Saint-Domingue ».[1]

LE CACAO PAS ENCORE ELIGIBLE AU POSEI

Les subventions importantes de l’Europe et de l’Etat pour la canne et la banane expliquent probablement en partie cette désaffection pour une culture moins lucrative, qui a dû il est vrai, affronter des cyclones destructeurs et une concurrence féroce des « fronts pionniers », notamment de la Côte d’Ivoire qui produit 40% du cacao mondial. Dans son rapport annuel 2011[2]la Cour des Comptes pointait en effet le montant élevé des subventions aux cultures d’exportation antillaises sur la période 2002-2008. Qualifiant l’aide à la banane de « hors norme », la Cour s’étonnait que son montant de 691 euros à la tonne soit très au-dessus des 404 euros garantis pour un tonnage en forte baisse sur la période. Les producteurs de banane antillais touchaient alors une subvention de 15 000 euros à l’hectare, quand elle était de 500 euros en moyenne pour les paysans de l’Hexagone. Le montant du POSEI (le Programme d’Options Spécifiques à l’Éloignement et à l’Insularité) banane était de 129 millions d’euros en 2017.

Subventions « sanctuarisées » pour la banane et la canne éligibles au POSEI, de quoi en tout cas structurer ces filières, au point que le secteur Canne-sucre-rhum fasse aujourd’hui figure d’exemple avec la mise en avant du « spiritourisme », nouvelle carte de visite touristique de la Martinique.

De son côté, le cacao attend encore d’entrer sur la liste très convoitée des produits éligibles au POSEI. Mais pour cela, la filière doit encore se structurer. Elle doit pouvoir envisager avec précision ses objectifs de production destinée au marché local. A défaut de devenir une organisation de producteurs reconnue par FranceAgriMer, VALCACO pourrait se rapprocher d’une des organisations de producteurs existantes pour tenter d’émarger au POSEI diversification, dont l’enveloppe fermée -toutes productions confondues pour tous les Outre-mer- plafonnait à 26.1 millions d’euros en 2017.

OBJECTIF : DEVELOPPEMENT DURABLE

En espérant un jour pouvoir compter sur ces aides, les producteurs tablent sur la qualité et la différenciation au cœur de leur stratégie de développement durable.

C’est pour cela que Kora Bernabé et les membres de VALCACO se battent : pour que la filière soit bio, et que les logiques spéculatives (avec leurs conséquences néfastes dont l’usage du chlordécone) qui ont prévalu dans l’agriculture d’exportation n’aient pas cours dans le cacao.

Mais le chemin du cacao est difficile. Et la bonne volonté de passionnés se heurte parfois à la lourdeur administrative. Ainsi, VALCACO a-t-elle attendu trois ans pour toucher les 15 000 euros d’aide à la structuration sollicités en 2015 auprès de la Collectivité Territoriale de Martinique, non sans avoir pris l’opinion publique à témoin, par la voix de sa présidente élue territoriale !

Las… VALCACO promeut les bonnes pratiques auprès de ses adhérents, soient 70% des producteurs et transformateurs de la filière. Et si tous les producteurs ne sont pas labellisés bio (le label n’est pas gratuit), aucun n’utilise de produit phytosanitaire. C’est le prix à payer pour faire partie de VALCACO. Quant au chlordécone… il n’a évidemment pas droit de cité chez les producteurs membres de l’association. Et le combat contre les rats qui sont aussi intéressés par le cacao que les hommes, doit se gagner sans pesticide !

De fait, la production martiniquaise est plutôt surprenante : les arbres portent des fruits au bout d’un an et demi, quand il faut attendre généralement trois à cinq ans pour récolter des cabosses ! Les sous-bois riches en matière organique seraient à l’origine de cette prolificité étonnante qui déconcerte les experts. Ce n’est bien entendu pas pour déplaire à Kora Bernabé et tous ceux qui s’investissent dans la filière depuis des années et qui en attendent beaucoup.

C’est le cas de Thierry Lauzéa, acteur majeur du secteur comme la Chocolaterie Elot du groupe GBH. En 2004, il a créé sa chocolaterie avec son frère Jimmy. Mais pas évident de produire du chocolat à partir de la seule production locale. Leur commande de 750 kilos n’a pu être honorée qu’à hauteur de 500 kilos en 2018. Pas assez… mais de mieux en mieux. La demande croissante des transformateurs devrait continuer à encourager les agriculteurs à produire des fèves.

Lire aussi : Le cacao, au niveau mondial, entre profit et destruction.

Les frères Lauzéa produisent ainsi dix tonnes de chocolat pour le marché local et national et ils prévoient de commander une tonne à 1,2 tonne de fèves en 2019. Le marché de la transformation est porteur. De quoi booster la production.

Sur sa plantation de Petit Piton, Kora Bernabé rêve que, des cabosses dorées coule suffisamment d’or noir, pour alimenter une demande de 100 tonnes annuelles. Chiche !

Reportage de Barbara Jean-Elie

[1]Anselme Payet – chimiste, dans la Revue des Deux Mondes. 1859

[2]Cour des Comptes– Rapport public annuel 2011 de la Cour des Comptes. Tome 1- Observations générales

 

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